A Bruxelles, Nuit Debout se décline sous le lampadaire

Une équipe d’irréductibles bruxellois s’organise depuis le début de Nuit Debout pour faire vivre le mouvement dans la capitale belge.

Ils sont peu nombreux mais l’énergie et le temps qu’ils y mettent donnent envie de les soutenir. Ils, ce sont les Nuitdeboutistes de Bruxelles. Ils sont une bonne dizaine quand je les rencontre, samedi soir dernier. Ils viennent de quitter la place du Mont des Arts, où ils se retrouvent presque tous les soirs pour porter la déclinaison belge de la “convergence des luttes”. Ils vont se mettre au chaud dans un bar et organiser les prochaines étapes de leur action. Ils sont jeunes – ils ont entre 17 et 35 ans – motivés et animés de cette même envie de faire bouger les choses que les citoyens engagés que j’ai pu rencontrer Place de la République.

Un mouvement plus grand qu’eux

J’arrive à peine, décision est prise d’aller chez l’un d’eux – absent de la place ce soir-là – pour finir la soirée. On s’organise en petit convoi. Deux petites notes d’ambiance tirées du trajet, saugrenues et oniriques. La musique slovène qui résonne dans la voiture de Tortue. Et la pause ravitaillement chez un “Paki” à Molenbeek. Bruxelles n’est pas ma ville mais à ce moment précis, avec eux, je me sens chez moi.

Le pauvre hôte voit débarquer par grappes toute la troupe, dont une bonne partie de gens qu’il ne connaît pas. Il tente de nous faire taire, son coloc – pas du tout concerné par la “lutte” – dort, pour l’instant, à poings fermés. Je profite du petit comité pour poser plein de questions. J’ai envie de savoir qui ils sont, pourquoi ils sont là. Ils ne comprennent pas très bien si je suis journaliste ou pas, sympathisante, spectatrice ou aussi actrice. J’essaie de leur expliquer que je suis tout ça à la fois.

 

Elyx-Bruxelles
Et hop, une déclinaison bruxelloise de YAK et son petit Elyx.

Il y a la poétique Lola, encore étudiante, qui gère toute la communication et les relations presse. Elle m’explique l’importance pour eux de la manifestation du lendemain contre la livraison de F16 à la Syrie par le Royaume de Belgique. Dans son discours, il n’est pas question de la loi Travail de Myriam El Khomri. Non, les Belges sont debout pour dénoncer les causes qui les mobilisent au quotidien. Leurs causes. Celles de Belges. D’Européens. Et de citoyens du monde.

Il y a aussi Simon, 17 ans. Il m’intrigue. J’aimerais comprendre ce qui l’anime. Il s’est tout de suite senti impliqué dans Nuit Debout. Il est même monté à Paris, le mardi 1er avril, le soir des barricades à Saint-Germain-des-Prés où une bonne centaine de lycéens a fini la Nuit, debout… au poste. Dans la capitale française, il se sent chez lui, près de ces jeunes qui veulent eux aussi prendre part à un mouvement plus grand qu’eux tous réunis.

“Je suis politisé, au sens où j’ai des opinions politiques, me raconte-t-il, mais je n’avais jamais pris part à un mouvement. J’ai découvert à Nuit Debout une ambiance sereine, un monde apaisé, bien pensant. Peu importe qui tu es et comment tu arrives : tu es le bienvenu. J’y ai vu une conscience collective, une preuve que l’humanité est capable de bien plus qu’on ne lui laisse croire.” Il est poète, il rêve éveillé, debout.

De la bienveillance et pas d’étiquettes

A Bruxelles, le mouvement a pris spontanément quelques jours après les débuts du Printemps français. Le 6 avril, plus de 200 personnes se retrouvent Place des Barricades, pour affirmer leur volonté de se réapproprier l’espace public et réinventer ensemble, de nouvelles manières de faire société. Parmi elles, Adrien, un Français exporté à Bruxelles pour cause d’activité politique européenne. Mon point d’entrée dans ce petit bain Nuitdeboutiste, dans lequel je m’immerge en m’en délectant.

Activiste de longue date, JEDI du climat, il a eu envie d’être là ce soir fondateur, pour faire écho à ce qui se passait en France, où nombre de ses amis occupent les places publiques. Habitué des mouvements citoyens et des happenings, il prend le micro et aide la foule présente à organiser les prises de parole, en leur rappelant les signes des Indignés espagnols repris par Nuit Debout.

“J’ai voulu leur transmettre l’importance de la bienveillance, de juger les idées et pas les gens, me confie-t-il. Je les ai prévenus qu’on allait ressentir des émotions fortes et qu’il fallait à tout prix éviter de mettre des étiquettes. L’étiquette empêche la rencontre, et dès qu’elle survient, elle met à distance l’idée et la personne qui la porte.”

L’ambiance est plus familiale dans la capitale belge. Une revendication se distingue: “Les gens ont tout de suite demandé qu’on prévoie des espaces pour les enfants pour que les mamans puissent participer aux débats.”

De passage à Paris la semaine dernière, il est allé faire un tour avec des amis Place de la République. Un bain de jouvence: “je me suis senti chez moi.” Il m’explique la difficulté de s’enraciner – il aime les métaphores terriennes, lui qui travaille sur l’agriculture – quand on partage son temps entre la France et la Belgique. Ce weekend, l’équipe bruxelloise l’a invité à être modérateur. Pour son expérience. Ses qualités d’organisation. Sa bienveillance. Une idée me vient, en l’écoutant: “Et si Nuit Debout lui offrait un moyen, même temporaire, de réconcilier un peu la dichotomie entre “son corps à Bruxelles” et “sa tête à Paris”?”

Dans les personnalités du groupe – qui, comme en France, refuse la personnification – il y a aussi Pascal. Régisseur. L’âge du Christ. Jamais milité, pas fan de manifestations. Mais avide de réfléchir et de vivre ensemble autrement. Son envie, à lui, c’est de “trouver des gens avec qui c’est possible que les Nuits Debout durent six mois, un an.”

Rendez-vous sous le lampadaire

Le noyau d’irréductibles a du pain sur la planche. S’organiser, par pôles, en fonction des compétences et des besoins; faire comprendre aux Belges l’essence du mouvement, pas simplement importé de Paris, mais bien incarné par des Bruxellois. C’est Tortue qui me résume le mieux cette substantifique moelle. Le Grenoblois d’origine, ostéopathe, n’aime pas trop parler de “convergence des luttes”. Il se sent proche des Colibris et préfère évoquer la transition en cours. “Pourquoi le film Demain a-t-il été vu par près d’un million de personnes ? Parce qu’il parle des solutions, des initiatives positives et donne les moyens d’agir.”

Une décision importante doit être rendue cet après-midi à propos du Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance (TSCG) dans l’union économique et monétaire, aussi appelé Pacte Budgétaire Européen: la Cour constitutionnelle rendra son arrêt au sujet de l’annulation des normes d’assentiment au Traité budgétaire européen. De nombreuses organisations dont la Ligue des Droits de l’Homme, la CGSP Bruxelles et d’autres mouvements citoyens sont mobilisés pour faire du bruit autour de cette décision, qui pourrait entraîner l’annulation du traité.

Ce soir, le noyau d’irrédElyx-Bruxellesuctibles seront encore là, sous le lampadaire, à donner la parole aux Bruxellois. Et ils attendent avec impatience le 1er mai, dimanche. En les quittant, je sais déjà que je viendrai les retrouver. Bientôt. Et je repense à ce dessin de mon ami Yacine, YAK de son petit nom d’artiste, après les attentats de Bruxelles, en mars dernier. Je l’avais partagé, comme beaucoup de ses dessins, parce qu’il visait juste. Ce weekend bruxellois, ce slogan d’Elyx n’a jamais résonné autant en moi : #WeAreOne.

 

Crédits dessins: Elyx, by YAK, que je remercie particulièrement pour cette déclinaison bruxelloise de son dessin pour Nuit Debout, qui ne manquera pas d’être repris par les irréductibles.

Crédit photo à la Une: Place des Barricades, Bruxelles, le 6 avril, Belga

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