Je reprends ce blog après six mois à travailler autour d’un projet fou, intense, dans lequel je me suis investie sans trop compter : Place To B. L’ambition : réunir, dans un même lieu (une auberge de jeunesse accolée à un bar, Le Belushi’s) pendant la Conférence de Paris (COP21), 600 personnes du monde entier – bloggeurs, journalistes, activistes, artistes – pour proposer ensemble un nouveau récit sur le climat. Rien de moins que l’envie d’être « The Place To Be » pour la société civile et médiatique.
L’événement est fini depuis une semaine maintenant, et je commence à peine à prendre un peu de recul sur l’expérience qu’on a vécue. Et quelle expérience ! Un condensé de vie en 15 jours, de travail, de bonheur, de réflexion mais aussi de fatigue et de stress. Des vraies montagnes russes, de l’adrénaline, et quand ça s’arrête, le tournis ! Il est temps maintenant de faire le bilan, calmement, pas seulement de Place To B, mais de l’année écoulée.
Du changement dans l’air
Quand j’ai rejoint ce projet impulsé par Anne-Sophie Novel, en mai, je venais de passer presqu’une saison à C dans l’air, et je rêvais de traiter au quotidien des sujets environnementaux autrement que par le petit bout de la lorgnette. Rentrer dans la complexité de ces enjeux, décrypter les changements à l’œuvre, dans les pensées et les comportements des citoyens et des acteurs de la société civile, mais aussi les résistances qui se dressent devant ce nouveau monde qui est déjà là.
J’avais commencé à travailler à C dans l’air un peu comme sur un malentendu, parce que je me trouvais au bon endroit, au bon moment et que quelqu’un avait cru en moi et mon « profil atypique », et d’un court remplacement d’été, je me suis retrouvée à faire presque toute la saison. J’ai profité de cette émission reconnue et installée pour apprendre à vitesse Grand V.
Apprendre à donner la substantifique moelle d’un sujet à un animateur à la tête d’une matinale d’une grande radio, qui a besoin d’efficacité. A maîtriser mon stress quand le moment de l’émission approche. A composer un plateau équilibré, malgré les contraintes nécessaires pour continuer à toucher un public plutôt frileux de militantisme en tout genre, mais lettré et curieux de découvrir tout de même ce qu’il se passe un peu loin de sa sphère.
Végétarienne, une nouvelle identité
Entre les deux contrats, j’étais devenue végétarienne, et ma vision de ce qu’était l’écologie était en train de changer…J’étais désormais convaincue qu’attendre que les hommes politiques prennent des décisions vraiment courageuses pour changer les choses n’était qu’une utopie. Non, le vrai changement allait venir de chacun de nous, par des choix quotidiens, des engagements forts et une implication collective. Ça ne voulait pas dire que je ne croyais plus en la politique, mais que je considérais que ce champ-là tout seul ne suffisait plus à faire chanter les lendemains.
La réflexion sur notre rapport à la Nature, aux animaux – cette manière que l’homme à de réifier, chosifier tous les milieux et les êtres qui l’entoure – je l’avais entamée il y a bien longtemps : en prépa littéraire, en fac de philo, puis en fac de sciences sociales, où j’avais découvert Peter Singer et ses thèses anti-spécistes, les corpus de textes sur l’écologie profonde et ce qu’ils éclairaient de notre société.
Je mangeais de plus en plus bio, de moins en moins de produits transformés, et je commençais à me poser de sérieuses questions sur l’élevage intensif. Et il y a eu ce livre d’Aymeric Caron, No Steak. Je savais que c’était une enquête très fouillée sur notre rapport à la barbaque, et que le jour où je le lirai, je ne pourrai plus faire comme si je ne savais pas. Je l’ai laissé sur un étage de ma bibliothèque pendant plusieurs semaines. Et puis je l’ai embarqué pour un weekend dans le Sud. Je l’ai dévoré, comme un bon steak, que je mangeais encore alors. Quand je l’ai terminé, reposé, c’était fini : No Steak anymore.
Ça a pas mal changé mon quotidien, les restos avec mes amis et mon ami, les plats à faire livrer le midi avec les collègues, les repas en famille. J’ai surtout pris conscience que mon choix dérangeait. Pas parce que j’étais dogmatique ou prosélyte, mais parce que je signifiais sans le faire exprès « Vous continuez d’en manger, c’est maaal. » Ça parait manichéen, mais on m’a fait très souvent ce retour, quand on ne faisait pas le coup du cri de la carotte. Plus mes arguments s’affutaient – j’ai eu une période de boulimie de littérature sur la viande – plus j’étais sûre de mon choix.
Raconter ça, ce n’est pas du tout anecdotique, parce que je pense que cette « conversion » au végétarisme a vraiment été un tournant pour moi. J’ai aussi commencé à cette période à réfléchir plus largement aux conséquences de nos modes de consommation sur l’environnement et notamment sur le climat, alors que la Conférence de Paris se profilait et que le sujet occupait une place beaucoup plus importante dans les médias.
A C dans l’air, les émissions se succédaient sans se ressembler, je prenais mes marques, je commençais presqu’à être à l’aise. Et puis, il y a eu Charlie… Profondément marquée par ce que nous venions de vivre, je commençais à sentir la fin du contrat approcher – celle que je remplaçais revenait fin mars, et le temps filait plus vite que je ne l’aurais voulu.
Faire de 2015 une année verte
Je suivais toujours les initiatives citoyennes et médiatiques autour de l’environnement, mais je n’étais pas présente « dans la vraie vie ». Ça me taraudait de plus en plus de faire de 2015 une année verte, de prendre le temps de lire, de voir, de comprendre, d’interroger.
En mars, j’ai suivi la première édition d’un événement qui m’a paru génial, parce qu’il réunissait petits et grands, alliait réflexion et pratique, pour sensibiliser un public le plus large possible au développement durable : Défions Les Saisons. Je n’ai pas pu y aller, j’ai même oublié pourquoi. Mais le lendemain, j’ai contacté sa co-fondatrice, puis celle qui gérait le projet – une nana en or devenue depuis une amie – Aurore Leclerc. Et hop, me voilà embarquée dans l’organisation de l’édition suivante, puis rapidement, membre du Conseil d’Administration.
Dans la foulée, C dans l’air me propose un mi-temps sur un autre poste. C’est le moment que choisit Anne-Sophie Novel, avec j’avais déjà travaillé sur un autre projet, pour me proposer de rejoindre la dynamique de Place To B, pour développer la communauté et les réseaux sociaux. Je n’ai pas réfléchi tant que ça, et j’ai choisi le sens et l’élan, au détriment du prestige et d’un intérêt certain pour la suite de ma carrière… Le responsable des RH n’a d’ailleurs pas bien compris… Mais tant pis !
Réseaux sociaux, puis blog et enfin site Internet, j’ai un peu été « couteau suisse numérique », comme je me surprise à le dire pendant l’événement, quand on me demandait de résumer ce que je faisais à Place To B. Pas parfaite mais toujours en train d’apprendre et de mettre les mains dans le cambouis pour servir le projet et valoriser les narrateurs qui nous prêtaient leur plume, comme Eve Demange, une de mes très belles rencontres de l’aventure. Quelques frustrations et regrets, vite balayés par la densité et l’intensité des échanges avec l’équipe et la communauté qui grandit.
Place To Débrief
En quelques mois, quel chemin parcouru, quel boulot abattu, les uns, les autres ! De mon côté, j’ai l’impression d’avoir fait des bonds de géant. Gestion du stress, des émotions, maîtrise du temps, management, même : les mois de préparation et les 15 jours de l’événement m’ont rendue plus forte, plus sûre de mes valeurs et de mes convictions, plus confiante en la justesse de mes engagements.
Comment résumer tout ça en un paragraphe ? Je vais surtout garder en mémoire la richesse des rencontres. Avec l’équipe, les bénévoles qui en font désormais partie ; la communauté, les résidents, les visiteurs d’un jour ou d’un soir ; et puis avec tous les invités du Place To Brief, notre émission quotidienne, notamment Abd Al Malik et Jean-Louis Aubert, deux beaux artistes qui m’ont dressé le poil, et qui étaient en plein dans notre mood – sincères. Merci encore Céline Manesse et Yoann (YMCM Prod) pour ces pépites.
Bien sûr, j’ai quelques regrets à propos de l’aventure : ne pas être sortie assez de l’auberge, ne pas avoir écrit assez, ne pas avoir pu gérer autant que je l’aurais voulu le flot et le flux incessant de contenus pendant 15 jours. Cette semaine me servira d’ailleurs à rattraper le retard accumulé en même temps que la fatigue. Mais quelle fierté d’avoir été l’une des artisanes de cette première mouture de Place To B, pour créer « un lieu et des liens » !
Une idée force me restera : comme mon équipe (petite dédicace aussi à Joe Ross), je ne suis pas CONTRE, je suis POUR. POUR des nouvelles manières de vivre, d’être, de raconter. POUR le choix de la vie, ses nuances et ses contradictions, et pas seulement pour la dénonciation et la critique facile. POUR le choix de l’optimisme et de cette manière de voir caractéristique d’Anne-Sophie et de son entourage plus ou moins élargi.
Il est temps maintenant de se reposer, de se poser, de prendre du temps pour moi. De voir mes amis et de les chérir. De lire tous les bouquins et les journaux que j’ai laissés de côté ces dernières semaines. D’aller voir des expos, sans lien avec le climat. D’aller au cinéma, parce qu’il doit bien y avoir de belles choses. De flâner, nez en l’air, sans regarder les heures filer ou au contraire, en les laissant filer et m’en foutre. Et puis, aussi, de réfléchir à la suite : après un projet si fort et plein de sens, que faire qui ne paraisse pas fade et sans saveur ?
Pendant ces 15 jours, j’ai aussi pris une décision radicale dans ma vie personnelle. Portée par l’énergie incroyable du lieu et des gens qui venaient de l’investir, je ne pouvais plus me contenter d’une vie en demi-teinte. Une décision dure à prendre, qui m’a demandé du courage et forcée à passer outre la grande compassion qu’on a pour ceux qu’on aime depuis longtemps et qu’on ne veut pas quitter.
Après l’euphorie de l’événement, le vertige et le bonheur d’avoir tout à construire, tous les possibles ouverts. Il y a aura un avant et un après Place To B. Je ne sais pas encore ce que je ferai, où j’irai et avec qui – je viens déjà de rejoindre la fine équipe de Notre Affaire à Tous, une association qui lutte pour la justice climatique, et je compte bien refaire la part belle à tous mes engagements. La vraie découverte de ces 6 mois de préparation et de ces 15 jours d’événement, c’est moi. Grâce à cette aventure humaine, je sais mieux qui je SUIS, et ça, ça vaut de l’or. Merci.
Bravo pour ce papier et merci de l échange. L important est en effet d être en phase avec ses valeurs. Suis déjà impatient de lire tes prochains posts. Dans tous les cas, bon » départ » dans ces nouvelles aventures.